• La Maison St Augustin - Article Delattre

    LA MAISON SAINT-AUGUSTIN ET LES JÉSUITES FRANÇAIS
    A ENGHIEN DE 1887 à 1953


    SOUVENIRS

     

    Le vieux Couvent des Augustins est un de ces établissements qui, dans l'histoire d'une petite ville, occupent une place. S'il est, depuis près de septante ans, passé dans les mains d'autres religieux, ceux-ci ont, à leur tour, prolongé son histoire. On a cru le moment venu d'en fixer quelques souvenirs. Comme de juste on s'est borné à ce qui pouvait intéresser Enghien et ses historiens de l'avenir ; l'Ordre a ses annales pour tout ce qui est particulier.

     

    1. - Les Origines.

     

    La Province de Champagne (*), détachée en 1863 de la Province de Paris trop étendue et désormais trop nombreuse, n'avait pas encore, en 1886, de séminaire d'études philosophiques et théologiques. Ses jeunes religieux, leur première formation religieuse et littéraire achevée à Gemert, en Brabant hollandais, étaient, ainsi que les régents, au sortir des collèges, dirigés en partie, vers le scolasticat de Jersey, une des îles anglo-normandes, en partie, depuis 1880, vers Louvain, chez les pères belges. En 1886, le P. Antoine Sengler, nommé Provincial, jugea le moment venu de mettre fin à cet état de choses. Il ne pouvait être question, si près encore des décrets ministériels qui, en 1880, avaient contraint toutes les maisons religieuses de formation à s'exiler, de s'installer en France : on tourna donc les yeux vers la Belgique. Une indication sérieuse en arriva bientôt : à Enghien, sur la voie ferrée Lille-Bruxelles, à deux heures de la frontière, un ancien collège d'Ermites de Saint-Augustin, pourrait être acquis à des conditions favorables.

    (*) Pour ce qui concerne son administration intérieure, la Compagnie est divisée en « Provinces » ; la France en compte quatre ; trois sont désignées par le nom de la ville où réside le provincial : Paris, Lyon, Toulouse ; la quatrième, par le nom de Champagne bien qu'elle s'étende de Dijon à Dunkerque et de Strasbourg à Amiens.
    En Belgique, les deux Provinces: Belgique méridionale et septentrionale coïncident, en fait, avec les Flandres et la Wallonie.

    Ce n'était pas la première fois, bien que le souvenir s'en fut alors entièrement perdu, que cette maison était offerte à la Compagnie. En septembre 1834, six ans après les ordonnances de 1828, lorsque l'existence de la Monarchie de juillet ne paraissait pas encore solidement établie, le P. François Renault, provincial de France, recevait à Lyon une lettre où le P. Jennesseaux lui disait : « On vient d'offrir à M. Van Lil, (Provincial de Belgique), le Collège d'Enghien à des conditions très favorables. Il le cèdera très volontiers aux pères français. La chose presse ; on attend la réponse, et on est décidé à ne pas laisser échapper l'offre avant une entrevue désirée avec M. Renault... » Il s'agissait alors, pour le Provincial de France, de fonder en Belgique un collège français qui put remplacer Saint-Acheul fermé en 1828.

    Il avait une histoire, ce vieux Couvent. Fondé au milieu du XIIIe siècle, certainement avant 1260, par un Ermite de Saint-Augustin, venu de très loin, disait au XVIIe siècle une tradition recueillie par Brasseur, il avait été incendié au XVIe siècle, comme presque toute  la partie basse de la ville ; entièrement rebâti, il s'était accru, entre 1623 et 1636, d'un corps de logis aussi important que lui-même, pour recevoir l'école latine de la ville dont la Dame d'Enghien, Anne de Croy, princesse d'Arenberg, confiait la direction à ses religieux. En dépit du caractère contemplatif que semble suggérer le nom même de leur Ordre, les Ermites d'Enghien réussirent à faire de leur collège un établissement florissant. Restauré, en 1732, par le duc d'Arenberg, il comptait au XVIIIe siède une centaine d'élèves parmi lesquels plusieurs arrivèrent ensuite à la notoriété. Mais en 1795, l'invasion de la Belgique par les armées de la Révolution française mit fin à cette prospérité. Tous les ordres religieux supprimés et leurs membres obligés de quitter leur habit, les Ermites d'Enghien avaient dû se disperser après avoir, à l'unanimité, signé une protestation contre les bruits qu'on faisait courir à leur sujet :

    « Nous soussignés, Religieux de l'ordre des hermites de Saint-Augustin du Couvent de la Ville d'Enghien assemblés en Chapitre, déclarons solennellement et professons que personne de nous n'a désiré en aucune façon la suppression de notre communauté, ni de notre ordre, ni de notre couvent, et encore moins de l'avoir sollicitée. Par conséquent, pour ce qui nous regarde, il est faux ce qui est rapporté dans quelques Gazettes.

    Nous faisons au contraire un aveu sincère que rien ne nous est davantage à cœur que qu'il nous soit permis de continuer dans le propos et dans l'état, que par la grâce de Dieu nous avons embrassé de tout notre cœur, et de persévérer clans la maison de notre profession jusqu'au dernier souffle de vie.

    En foi de quoi nous avons signé à Enghien le 19 août 1796

    Fre Victor Thienpont prieur
    Fre Bouduin Hosselaer senior
    Fr. A. F. Lucktens subp.
    Fr. Florent Dousen
    Fr. Pr. Vander Gucht proc.
    Fr. P. de Blander
    Fr. G. Vanclerstocken
    Fr. E. De Blander
    Fr. J. P. Ravets
    Fr. De Weert
    Fr. J. Hosselaer
    Fr. C. Saublun
    Fr. P. Van Damme
    Fr. L. Spruyt
    Fr. Jbs. Robyn
    Fr. E. Van den Driessche
    Fr. Fulgentius Duwez
    Fr. Prosper de Camps (*). »

    (*) D'après un original conservé dans les Archives de l'Hôpital Saint-Nicolas d'Enghien.

    Le Couvent déclaré « bien national », loti et vendu aux enchères, devint vite la proie cles pillards qui prenaient librement ce qu'ils trouvaient à leur convenance. Quatre ans avaient suffi à le rendre inhabitable quand la ville en racheta les morceaux aux premiers acquéreurs disqualifiés dans l'opinion comme détenteurs de « biens noirs ». En 1802, à la sollicitation du Conseil de la Ville, le préfet du département de Jemmapes invita lui-même les anciens Ermites dispersés dans Enghien et aux environs à reprendre, dans leur couvent, propriété de la ville, l'enseignement de la jeunesse (*). Quatre religieux acceptèrent et, en 1807, ils réunissaient déjà 130 élèves. C'était un succès. Mais, comme ils s'étaient montrés, sous Joseph Il, adversaires décidés de toutes les réformes administratives, politiques et religieuses, de l'empereur autrichien, ils n'avaient pas accepté davantage, en 1802, le Concordat ni surtout les articles organiques, arrachés au Pape Pie VII par l'empereur français. Disciples d'un ecclésiastique alors célèbre, Stevens, vicaire capitulaire de Namur, ils refusèrent obstinément en 1808 de prêter le serment exigé pour l'affiliation de leur établissement à l'Université de France, qui jouissait du monopole de l'enseignement ; arrêtés, ils furent incarcérés à Bruxelles ou exilés en France. Quand ils reparurent à Enghien, aussitôt la défaite de Napoléon, le vieux Collège était transformé en magasin militaire, toutes les pièces encombrées de vivres, le réfectoire occupé par des bureaux, la chapelle remplie de foin ; les caves servaient d'étables à bœufs. Soutenus par l'espoir que, la France vaincue, ils pourraient reprendre la vie conventuelle, ces hommes courageux se remirent pourtant à l’œuvre malgré l'état lamentable des locaux où la ville n'était pas en mesure de faire les réparations même les plus urgentes. Le succès récompensa leur dévouement. De 50, en 1821, les élèves étaient remontés à plus du double en 1824. Mais, le 14 juin 1825, parût le fameux arrêté du roi Guillaume des Pays-Bas qui plaçait toutes les écoles latines sous la surveillance du Ministère de l'Intérieur et obligeait chaque professeur à se faire autoriser individuellement. A l'exemple de presque tous les prêtres des Flandres, les derniers Augustins refusèrent, et le collège, s'il continua de vivre sans eux, végéta jusqu'à la Révolution de 1830, où, la liberté d'enseignement ayant été proclamée, Ie Conseil de la Ville demanda à l'évêché de Tournai d'en prendre !a direction.

    (*) L'histoire du « vieux collège d'Enghien au sortir de la Révolution » a été racontée par M. A. VAN NUFFEL, Principal du Collège Saint-Augustin. dans « Heri et Hodie » (Bulletin trimestriel du Collège d'Enghien et Organe de l'Association des Anciens élèves), en 1953, numéros de mars, p. 15-19 ; juin, p. 4-6 et novembre, p. 11-16 ; l’œuvre de M. Deblander, depuis 1850 au vieux collège et la création du nouveau, sur la hauteur, en 1879, dans le même bulletin, en 1950, à l'occasion du centenaire: « Un siècle d'histoire », mars, p. 1-11, et numéros suivants.

    En 1834, le collège d'Enghien comptait peu d'élèves et l'évêché de Tournai ne souhaitait pas en conserver plus longtemps la direction. La proposition faite au Provincial de France était donc de reprendre en Belgique un établissement d'éducation en exercice. Le P. Renault offrit sur le champ de se rendre à Lille, Gand ou Tournai. Le rendez-vous eut lieu à Lille, le 4 octobre. Toutefois, entretemps, le P. Van Lil et son conseil avaient réfléchi. Loin d'insister pour que les Pères français acceptassent la maison d'Enghien, le Provincial de Belgique insista plutôt sur les inconvénients qu'aurait nécessairement un établissement de ce genre : dispositions incertaines de la Régence surtout à l'égard d'étrangers ; mélange d'élèves français et belges qui discuteraient politique, d'autant plus, peut-être, qu'on le leur défendrait davantage ; amertumes du côté du clergé qu'on semblerait évincer ; ombrages portés à d'autres, etc... Bref, ce qui paraissait au P. Van Lil le moins sujet à inconvénients pour le moment présent, c'était un pensionnat exclusivement destinés aux français. Le projet d'Enghien fut donc abandonné ; peu de temps après, la Providence favorisait l'ouverture à Brugelette du collège français si désiré.

    Repris en 1844 – il comptait alors 130 élèves – par les Pères de Picpus, puis abandonné six ans pIus tard à l'évêché de Tournai, le collège d'Enghien était, en 1878, aux mains du Chanoine Deblander, enghiennois de naissance, qui, en 1850, en avait accepté la direction. Par de rares capacités d'administration et au prix d'un extraordinaire dévouement, M. Deblander l'avait placé au premier rang des institutions d'enseignement moyen du pays, quand, à la veille de « la loi de malheur », comprenant qu'une administration communale hostile allait lui rendre la tâche impossible, il offrit à la municipalité de lui acheter le collège pour 103.000 francs. S'étant heurté à un refus, il entreprit alors courageusement de construire sur la hauteur, en bordure de la route Ath-Bruxelles, un magnifique établissement. Le vieux couvent des Augustins fut donc rendu à la Ville dont il était la propriété depuis la Révolution française et, durant plusieurs années, la municipalité se préoccupa vainement d'en tirer parti. Finalement, pressée par l'obligation d'entreprendre des travaux publics de voirie, elle mit en vente le vieil immeuble, bornant ses exigences à la somme de 80.000 francs en raison du délabrement des bâtiments. C'est alors que le P. Sengler, qui cherchait précisément, non loin des frontières, une propriété où il put établir un scolasticat pour la Province de Champagne, résolut de conclure le marché.

    Construit sur les plans des anciennes abbayes, autour d'un beau cloître voûté, large, bien éclairé, avec façade principale sur le jardin, le vieux couvent avait une église, simple mais commode, enrichie au XVIlIe siècle de stalles et d'une chaire de bois sculpté qui n'étaient pas sans valeur. Le jardin n'était pas grand, mais, tout près, s'étendait le parc séculaire des ducs d'Arenberg (300 hectares enclos de murs) dont la jouissance était promise aux jeunes religieux. A quarante minutes, en outre, une gentilhommière dite « château de Warelles », leur serait louée à titre de maison de campagne. Le 25 janvier 1887, l'ancien collège était acheté au prix des enchères, aucun concurrent ne s'étant présenté.

    Financièrement parlant, ce n'était pas une affaire d'or : la municipalité n'ayant fait, depuis 1880, aucune dépense d'entretien. Les frais de réparations et d'aménagements allaient s'élever, dans les toutes premières années, à plus de trois fois le prix d'achat : encore tous les travaux seraient-ils économiquement conduits, par un de ces artisans autrefois, véritable maître-ès-œuvres, dont parfois l'audacieux génie déconcerta les architectes : le Frère Nicolas Federspiel (*).

    (*) Nicolas Federspiel, né à Wincheringen (Prov. Rhénane) le 1er nov. 1844, entré le 7 mai 1870, mort à Florennes le 26 février 1917.

    Le 5 février 1887, la rue Saint-Augustin vit donc arriver ses premiers hôtes (*) : deux pères et deux frères coadjuteurs et, peu de jours après, un monde d'ouvriers de tous les métiers commença d'y affluer. Le 24 juin, la maison reçut son premier recteur, le P. Alphonse Damerval puis, peu à peu, des scolastiques, volontaires pour la première organisation, arrivèrent de Louvain ou de Jersey.

    (*) Hormis l'ancien hôpital Saint-Nicolas, actuellement occupé par des Clarisses venues de Tournai le 24 mai 1881, seule, une Société linière y était établie face à l'ancien couvent des Augustins.

     

    Il. - Premières adaptations.

     

    Au moment où les jésuites français en prennent possession, le vieux couvent est, dans son ensemble, si l'on fait abstraction du mauvais état des édifices, surtout des toitures, tel que les Ermites de Saint-Augustin l'ont laissé au début du XIXe siècle. D'un long bâtiment dont la façade principale regarde, vers le sud-ouest, un grand jardin, deux ailes se détachent vers le nord-est où l'église, qui longe la rue des Augustins, achève d'enfermer une cour carrée bordée de cloîtres. Sur le rez-de-chaussée, élevé, bien éclairé, l'ensemble ne comporte qu'un seul étage, surmonté, il est vrai, de très vastes greniers. Sous le grand bâtiment, en raison de la déclivité assez prononcée du terrain, de grandes caves s'ouvrent sur le jardin. L'étage auquel l'on accède à chaque extrémité par de très beaux escaliers, comprend des chambres de part et d'autres de corridors, larges dans le grand bâtiment, étroits dans les ailes. Ceux-ci aboutissent, au centre, à une grande tribune ayant vue sur le chœur de l'église ; à l'ouest, au parvis de cette même église, après avoir pris jour sur le jardin du principal et donné accès, à main gauche, à deux chambres disposées au-dessus de la conciergerie, à main droite, à la tribune de l'église et à l'ancienne bibliothèque des Augustins. De vastes greniers sous combles surmontent tout l'ensemble.

    A ce vieux couvent, dont la fondation remonte aux dernières années du XIlIe siècle, mais qui a été entièrement reconstruit au XVIe siècle après le dernier incendie qui ravagea toutes les rues voisines jusqu'au cœur de la ville, la princesse d'Arenberg, Anne de Croy, avait ajouté, au début du XVIIe siècle, une aile importante, le long de la rue de la Fontaine. C'était « le Collège », dont la cour, fermée sur la rue des Augustins par une haute muraille, s'encadrait entre la façade intérieure du bâtiment central, I'aile de l'est et le chœur de l'église. A la différence du corps principal, ce collège avait deux étages de chambres basses, solidement voûtées et, sous un toit hautement mansardé, une très vaste salle. Quoiqu'il en fut des apparences, ce n'était pas suffisant pour le scolasticat, modeste pourtant, qu'on voulait installer. Dans cette maison, en effet, devaient coexister trois communautés qui ne se mêleraient que pour les exercices communs de la vie religieuse : les pères, cadre administratif, professeurs, écrivains, vieillards ; les théologiens, étudiants de 28 à 29 ans, presque tous ; les philosophes, jeunes gens de 22 à 24 ans ; ajoutons-y huit à dix frères coadjuteurs chargés des services. A quel chiffre se monte chacune de ces communautés ? Assez élevé, dès les premières années, puisqu'il compte, déjà en 1887-1888, 21 prêtres, 67 étudiants, 10 frères coadjuteurs, au total 98 religieux et, en 1888-1889, 111, il ne descendra jamais en dessous de 95 ; d'année en année, ce nombre imposera des transformations.

    Le premier tour de force du maître-ès-œuvres fut de relever d'environ 80 centimètres, progressivement et sans en rien démonter, la charpente des combles sur toute la longueur du bâtiment central, de façon à constituer un second étage de hautes cellules mansardées (*) surmontées d'un troisième aux chambrettes placées immédiatement sous le toit mais parfaitement habitables. Ces additions n'allaient-elles pas peser à l'excès, au rez-de-chaussée, sur les poutres du très large réfectoire ? On répondit aux craintes exprimées en suspendant, par de longues tiges de fer, ces poutres mêmes à la charpente du toit. Ce travail audacieux fut d'ailleurs facilité par le fait que, sur les charpentes, il ne restait plus alors un mètre carré des anciennes ardoises.

    (*) Une gravure représentant la cour du Collège vers les années 1870-1880 atteste que les combles du bâtiment central, sur lesquels ne se détache qu'une seule fenêtre, sont alors moins élevés que ceux de l'aile qui l'unit à la chapelle.

    Rien de pittoresque comme le tableau laissé par un témoin, le P. Henri Chérot, de cette installation à laquelle travaille encore en octobre, mêlé à plus de soixante ouvriers de tous métiers, un essaim tourbillonnant de quinze ou vingt philosophes et théologiens en tabliers bleus. C'est moins, en effet, d'un emménagement qu'il s'agit que d'une installation où tout est à créer, quasi de neuf : mobilier des cellules, des classes, des services, parallèlement à la réfection des planchers, plafonds, toitures, et souvent murailles. En dépit de la solennité qui, le 25 octobre 1887, réunit pour la bénédiction solennelle de la maison, Mgr. du Roussaux, évêque de Tournai, les RR. PP. Provinciaux de Belgique et de Champagne, M. le Doyen d'Enghien, le P. Gardien des Capucins, le bourgmestre, récemment nommé, M. Vanderkelen et ses deux échevins, M. de Cordes, juge de Paix, etc... il s'en faut de beaucoup que l'installation fut seulement normale : c'est pourquoi les classes, dans les premiers temps, changèrent aussi souvent de local que les étudiants, eux-mêmes, d'habitation.

    De cette première adaptation, la principale victime avait été l'appartement jadis du prieur puis du principal, très agréablement disposé au rez-de-chaussée, à l'extrémité ouest du bâtiment central. Haut, bien éclairé, il avait vue, au sud, sur le grand jardin ; au nord, sur un autre petit jardin qui s'étendait jusqu'à la conciergerie. L'appartement, sacrifié, céda la place en partie à la bibliothèque des théologiens ; le petit jardin, à une classe qu'on y construisit, adossée au mur du cloître et à la conciergerie ; parallèlement, à l'autre extrémité, dans « le Collège », on détruisit une partie des cellules, très étroites et très basses, qui, de part et d'autre d'un obscur couloir, en occupaient les deux étages. Dans la cour du collège, le long de la rue des Augustins, un grand hangar fut construit pour les philosophes ; au fond du grand jardin, le long de la rue du Béguinage, un autre pour les théologiens ; enfin un troisième, à étage, le long de la rue de la Fontaine, à usage d'atelier, de salle de bains, de dépôts divers. A ces travaux, dirigés par le Frère Federspiel, et, de toutes parts, à d'incessantes réparations, se borneront longtemps les efforts d'adaptation du vieux couvent à la vie du scolasticat.

    On n'avait toutefois pas attendu le silence des coups de marteaux pour s'adonner sérieusement aux études, et la précarité de l'installation trouvait sa contrepartie dans l'incontestable entrain qui animait les trois communautés, et dans un apostolat très actif à l'extérieur. Dès l'ouverture de la maison, Mgr. du Roussaux, très bienveillant, avait recommandé au doyen d'Enghien et aux curés du voisinage de faire largement appel aux scolastiques pour l'enseignement du catéchisme. On trouve ainsi en 1889-1890 : à la paroisse d'Enghien, 8 scolastiques pour 4 catéchismes ; à Petit-Enghien, 4 catéchistes ; à Labliau, 5 ; à Saint-Pierre-Capelle, 4 ; à Marcq, 5 ; soit un total de 25 catéchistes. Le catéchisme y est non seulement expliqué, mais montré en images et appris en cantiques. Sans doute, les catéchistes ne resteront-ils pas toujours aussi nombreux, mais, jusqu'à la guerre de 1940, plusieurs de ces villages, et d'autres encore, Hoves par exemple, verront, deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, arriver leurs deux catéchistes. Aux grandes fêtes : Noël, Pâques, Toussaint, plus de trente théologiens, prêtres ou non, apportaient leur concours de prédicateur dans des localités parfois éloignées. Les occasions ne manquèrent pas d'ailleurs de venir en aide au clergé d'Enghien par la célébration des messes quotidiennes et des saluts du Saint-Sacrement, chez les Clarisses à la rue des Augustins, les Ursulines, puis les Dames de Nazareth à la rue d'Hoves, les sœurs de Saint-Vincent de Paul à la rue des Orphelins, les Sœurs noires à la rue de la Fontaine, les Carmélites d'Hérinnes que les Dominicaines remplaceront vers 1920. Plus tard, vers 1912, un « séminaire russe » sera même institué et dirigé, rue de la Fontaine, par le P. Michel d'Herbigny, professeur de théologie : deux de ses élèves, un prêtre et un diacre, devaient être, plus tard, massacrés par les bolchevistes en haine de la foi. Au lendemain de la grande Guerre, l'œuvre, transportée d'Enghien à Rome, y donnera naissance au Russicum (*).

    (*) Voir : Etudes Religieuses, 5 avril 1920.

    Erigé pour la Province de Champagne, le scolasticat d'Enghien n'avait pas attendu longtemps pour compter, parmi ses étudiants, des religieux d'autres Provinces de l'Ordre, ni pour faire connaître honorablement le nom d'Enghien au loin, en pays de missions et provinces étrangères. En 1912, une statistique établira la preuve de l'ordination sacerdotale, au cours des 25 premières années de théologat, de 386 prêtres : 249 de Champagne, 80 de Toulouse, 57 de différentes Provinces : espagnols, portugais, italiens, belges, hollandais, etc... Parmi eux une centaine de missionnaires dont 65 champenois. En 1900, en effet, l'établissement a perdu ses « philosophes » pour ne plus recevoir que des théologiens. Par décision du T.R.P. Général, Louis Martin, il devient théologat commun aux deux Provinces de Champagne et de Toulouse. A divers points de vue, l'union est d'importance ; elle lui vaut d'abord de voir le chiffre de ses habitants s'accroître et passer peu à peu d'une moyenne de 98, de 1888 à 1900, à 104, en 1905 et 141, en 1913, pour se maintenir, de 1920 à 1939, aux alentours de 138. Dans ce nombre, le corps professoral figure pour un chiffre d'environ 16 à 18, de 1888 à 1900 ; de 25, entre 1910 et 1939. Tous, sans doute, ne sont pas voués à l'enseignement. A côté des professeurs, des écrivains ont leur part dans le rayonnement croissant du théologat, si bien qu'en 1934, Rome l'élèvera au degré de Faculté pontificale de Théologie, qualifiée pour conférer les grades de licencié et de docteur en théologie.

     

    Ill. - Agrandissements et transformations. 1906-1913.

     

    D'adaptations nouvelles à l'intérieur à partir de 1900, puis d'importantes constructions, l'accroissement du personnel n'est pas seul la cause : l'extension de la bibliothèque y eut aussi sa part. Peut-être, sera-ce mieux marquer la logique de ce développement que d'en grouper autour d'elle les phases principales.

    Dès l'arrivée en 1887, on avait naturellement affecté à la bibliothèque le local jadis occupé par celle des PP. Augustins sur le cloître, à l'étage, le long des murs de l'église. Il ne fallût pas six ans pour qu'elle s'y trouvât à l'étroit et qu'on dût lui aménager, au-dessus de la classe construite dans le petit jardin du principal, une vaste salle éclairée par le haut où elle pourrait développer ses rayons. Au début du siècle, il fallut lui concéder encore les deux chambres qui surmontaient la conciergerie et avaient vue sur le parvis de l'église. Vers 1905, deux fonds importants lui arrivèrent : une bibliothèque d'histoire de la Compagnie, constituée par le P. Alfred Hamy pour faciliter son propre travail et provoquer l'étude de l'histoire de l'Ordre, et une Bibliothèque des Exercices de Saint Ignace, sorte de Museum Manresianum, sur le texte, la science et l'histoire des Exercices de Saint Ignace. A celle-ci étaient attachés deux religieux, les PP. Henri Watrigant, son fondateur, et Paul Debuchy, déjà connu par plusieurs ouvrages de littérature et d'ascétisme. La publication d'une collection de fascicules – elle ira jusqu'au centième – destinés à répandre la connaissance, l'étude et la pratique des Exercices de Saint Ignace, accroissait son rayonnement.

     

    INSERER IMAGE DU COUVENT

     

    Le désir de concentrer tous ces fonds et d'en faciliter l'exploitation même par les étrangers amena la création d'une salle de consultation. Nécessaire pour l'étude et les recherches, elle ne l'était pas moins pour l'administration en raison surtout des catalogues malaisés à consulter. Vers 1912, on permit donc à la bibliothèque de s'étendre sur tout le premier étage de l'aile ouest : salles et chambres de l'infirmerie, plus trois autres, de celles qui, s'ouvrant sur le grand corridor du bâtiment central, avaient vue sur la cour intérieure. Mais cette extension de la bibliothèque, coïncidant avec l'accroissement du nombre des étudiants, le transfert à Enghien du Gouvernement de la Province, et l'adjonction, à la communauté des pères professeurs, de plusieurs écrivains, devait exiger des agrandissements. En 1907, il fallut transformer en cellules de théologiens la salle des Actes ou des Fêtes qui couronnait l'ancien collège d'Anne de Croy. En 1908, à la place des ateliers adossés à la rue de la Fontaine, M. Geerts, architecte à Enghien, élevait, en prolongement du vieux collège, une aile comportant deux étages et dont le rez-de-chaussée rendait à la communauté sa grande salle de fêtes. En 1912, enfin, année où la Maison fêtait sa 25e année d'existence, on décida, pour faire face aux besoins d'une communauté qui comprenait alors (1913-1914) 141 religieux dont 107 étudiants en théologie, d'édifier, à l'extrémité ouest du grand bâtiment, une construction plus vaste encore et mieux comprise. Le P. Henri Jubaru, alors recteur, en demanda les plans à M. Cordonnier, architecte de Lille, celui-là même qui devait voir, quelques années après la grande Guerre, ses projets choisis pour le Palais de la Paix à La Haye.

    Remarquons-le d'ailleurs en passant : ce n'est pas seulement d'agrandissements que les nouveaux propriétaires du vieux couvent l'avaient fait bénéficier. Dès les premières années, on s'était intéressé à la restauration de l'église abandonnée depuis longtemps. En 1897, le P. Paul Mury en donnait au Cercle archéologique d'Enghien une monographie très étudiée (*). Apprenant l'existence, dans une paroisse des environs, de l'ancien tabernacle qui lui avait été vendu, on en avait fait exécuter une réplique. Dans les cloîtres, les vingt-quatre verrières, dont le dessin ne se répète dans aucune, furent restaurées en 1912. Enfin, les prémices sacerdotales du P. Joseph Dassonville valurent à l'église de s'enrichir, de part et d'autre du maître-autel, de deux vitraux, œuvre du maître tournaisien Wybo. L'un représente l'Institution de la Sainte Eucharistie ; l'autre, la Mission des Apôtres. Dans ce dernier, la famille du donateur voulut que fut représenté un de ses membres, Mgr. Dubar, vicaire apostolique de la mission du Tché-li.

    (*) Monographie de l'ancienne église du Couvent des Augustins à Enghien. (Ann. Cercle Arch. Enghien, Enghien 1898-1907, T. VI, pp. 127 à 142).

     

    IV. - La Grande Guerre. 1914 -1918.

     

    Ces agrandissements du vieux couvent, désormais mieux adapté aux nécessités nouvelles, étaient à peine achevés qu'en juillet 1914, éclatait la grande guerre. Surprise par la rapidité de l'avance allemande, la communauté qu'avaient immédiatement quittée tous les mobilisables, fut très vite bloquée en grande partie, puis peu à peu renforcée par des éléments venus de plusieurs maisons de la Province situées à l'arrière du front. Ce ne fut pas de gaîté de cœur que tous ces jeunes pères acceptèrent leur sort. Plusieurs tentèrent de gagner la France par la Hollande : deux, cueillis en mer par un sous-marin allemand, payèrent cette tentative de quatre ans de camp de concentration en Allemagne. Les évasions furent d'ailleurs rendues assez vite impossibles par le contrôle allemand des présences dans la maison et la menace de voir déporter toute la communauté. Les supérieurs n'en eurent pas moins fort à faire pour obtenir la résignation, et les études se poursuivirent. Elles furent bientôt entravées par l'arrivée de populations françaises évacuées par l'ennemi à l'arrière de son front de bataille. Enghien, pour sa part, reçut une partie de la ville de Saint-Quentin. Dans le « Collège » qui borde la rue de la Fontaine, s'entassèrent dans les chambres de scolastiques, femmes et enfants de familles sans ressources. Il faut s'occuper d'elles, matériellement et moralement. Le P. Paul Derély, étudiant en théologie, devient en toute vérité « leur Père » et s'y distingue par un dévouement de toutes les heures. D'autres pères prennent la charge des réfugiés en ville. Entre l'Hôtel de Ville et la Maison Saint-Augustin, les relations pour le service des réfugiés sont de tous les jours. Très vite la chapelle du scolasticat est devenue l'église paroissiale des Saint-Quentinois. Ils y ont leurs offices qu'on s'efforce de rendre attirants pour ranimer, dans ces âmes qui souffrent, la patience et l'espoir de la victoire. La Kommandantur exigeant que la police soit faite la nuit par les habitants, les théologiens font paire avec des civils pour leur tour de guet à travers les rues sans lumière. Le ministre d'alors, aujourd'hui Mgr. Thoyer, Vicaire apostolique à Madagascar, a écrit, avec beaucoup de détails, le journal de ces quatre années, mais c'est une histoire qui déborderait le cadre de cette notice. Notons seulement qu'en 1916, M. le doyen Poot désirant soutenir le moral de la population, ne crut pouvoir mieux y réussir qu'en demandant au P. Pinard de la Boullaye, à l'occasion du carême, cinq conférences aux hommes dans l'église paroissiale. De septembre à décembre, quatre autres furent données au même auditoire, mais cette fois dans la sacristie.

    De l'esprit de résistance, du rayonnement moral de la maison durant ces quatre dures années, le général de division de La Guiche, chef de la mission militaire française dans la zône britannique, rendit témoignage moins d'un mois après l'armistice du 11 novembre. « Il m'a été signalé par la mission militaire française attachée au 3e corps britannique, écrit-il le 6 décembre 1918 au R.P. Jubaru, recteur, combien elle a été aidée par votre maison pour l'évacuation et le ravitaillement des réfugiés et des prisonniers français. Je tiens à vous adresser tous mes remerciements les plus sincères, tant en mon nom personnel qu'en celui de nos compatriotes, pour les services précieux que vous avez bien voulu nous rendre en ces circonstances difficiles ». Le 14 mars 1920, le général baron Serot Almeiras-Latour, attaché militaire près l'Ambassade de France à Bruxelles, accompagné de M. Weverbergh, attaché naval, vint rendre visite à la Maison Saint-Augustin. Le R.P. Subtil, recteur, prévenu, avait invité à cette occasion, six présidents de sociétés d'anciens combattants français en Belgique. Au toast du R.P. recteur, le général répondit avec une très grande bienveillance en recommandant « l'union sacrée » qui avait, durant toute la guerre, régné entre les partis politiques, et en louant l'héroïsme et l'heureuse influence des prêtres et des religieux pendant la guerre. Le 10 mai 1921, le scolasticat célébrant la fête nationale de Jeanne d'Arc, les mêmes attachés revinrent remettre à d'anciens combattants, un père et deux théologiens, deux Légion d'Honneur et une Médaille militaire. Des théologiens de 1913-1914, dix étaient tombés au champ d'honneur, dont la ville d'Enghien tint à mêler les noms à ceux de ses enfants sur le triptyque du monument : P. Henri Auffroy, septembre 1914 ; Maurice Bugnet, 27 octobre 1914 ; Gilbert de Gironde, 7 décembre 1914 ; Gonzague Mennesson, 28 décembre 1914 ; Joseph Vittrant, 25 septembre 1915 ; Pierre Soury-Lavergne, 28 septembre 1915 ; Joseph Cascua, 29 mars 1916 ; Gabriel Raymond, 5 mai 1916 ; Paul Dubrulle, 16 avril 1917 ; Francis Decroix, 18 mai 1918.

    Trois et quatre fois plus nombreux étaient ceux dont les citations et les distinctions reconnaissaient l'esprit de sacrifice.

    La guerre de 1914-1918 terminée, la maison reconstituée, la reconnaissance s'exprima par l'acquittement d'un vœu fait à saint Joseph au cours de la guerre. La tribune intérieure où les pères Augustins s'acquittaient, jadis, de l'office divin, fut transformée en chapelle votive et on érigea sur la façade extérieure du collège d'Anne de Croy, entre les armoiries des fondateurs, une statue du saint avec cette inscription :

    sanCtVs Joseph CVstoDit CollegIVM

    – saint Joseph a protégé le collège – chronogramme dont les chiffres, classiques chez les latins, font 1918. A parler franc, plusieurs de ces « vieux officiers, sous-officiers, soldats de la Grande guerre », titulaires de décorations nationales et étrangères et de citations à l'ordre du jour de tous degrés, régiments, divisions, armée..., souffrirent d'avoir à « reprendre le chemin de l'exil ». Qu'on ait autrefois demandé l'hospitalité à la Belgique lorsque, par suite des décrets de 1880, les pères restés en France se voyaient eux-mêmes condamnés à vivre dispersés, ils le comprenaient, mais puisque « la fraternité des tranchées » avait modifié la mentalité des électeurs à l'égard « des curés » et qu'une majorité modérée siégeait maintenant dans une chambre dite bleu-horizon, tant il y avait d'anciens combattants parmi les députés, pourquoi ne pas rentrer ? On rentrait bien dans les collèges. Les supérieurs, comme la jeunesse, s'étaient posé la question. Hommes d'expérience, ils préféraient cependant attendre et voir venir... Le retour en France d'un établissement comme Enghien entraînerait d'ailleurs des dépenses que les finances de la Province permettaient d'autant moins d'engager que, par suite même de cette évolution de la mentalité française, la restauration des collèges quittés depuis quinze ans en exigeait davantage. Les évènements justifièrent leurs craintes. Quatre ans étaient à peine écoulés que les élections ramenaient une chambre où la majorité radical-socialiste réclamait du ministre l'observation des « lois existantes » contre « le péril clérical ». Elle ne fut arrêtée que par un soulèvement d'opinion qui se traduisit, sur tous les murs de France, par une déclaration vibrante: « Nous ne partirons pas », et l'organisation d'une Ligue de défense des Religieux anciens combattants, la D.R.A.C. La résistance, cette fois, était organisée.

    Assez vite, la vie régulière avait donc repris dans la maison Saint-Augustin et les relations entre habitants de la ville et théologiens devinrent peu à peu plus rares et plus discrètes, sans pourtant empêcher la participation aux fêtes patriotiques. Le dimanche 7 septembre 1919, par exemple, tout le canton d'Enghien célébrait la fête de !a victoire. A 11 heures, le P. Joseph Dargent, professeur aux Facultés catholiques de Lille avant la guerre, au Grand Séminaire de Châlons-s/Marne pendant la guerre, et qui se trouve alors à Enghien, prononce dans l'église paroissiale une vibrante allocution. A la chorale du scolasticat a été réservé l'honneur de soutenir le chant du Te Deum. Des places ont été réservées aux religieux démobilisés à côté des soldats d'Enghien. « La population enghiennoise, écrit alors l'annaliste de la Maison, est de caractère assez froid. Aux fêtes nationales, on voit bien peu de drapeaux aux fenêtres. Il faut d'autant plus admirer aujourd'hui l'expression de son enthousiasme. Toutes les rues sont magnifiquement pavoisées : sapins, guirlandes de verdure et de papier, lanternes, arcs de triomphe, inscriptions à chronogrammes fournies par les pères, drapeaux, jusqu'à des mannequins caricaturant les gouverneurs allemands. Au parc, se dresse un cénotaphe funèbre. L'après-midi, un émouvant cortège dont le défilé dure 25 minutes, parcourt la ville. Après les délégations des communes voisines, vient Enghien : boys-scouts, déportés, groupes symboliques, soldats anglais, combattants français parmi lesquels nos jeunes religieux sont chaudement acclamés, soldats belges et mutilés. Le soir, illuminations et feu d'artifice. Nos murs sont ornés de festons d'ampoules électriques... » Cette journée avait raffermi considérablement nos liens avec la cité enghiennoise.

     

    V. - Au service de la jeunesse enghiennoise.

     

    Quelles que restrictions cependant que les supérieurs aient jugé devoir apporter, au lendemain de la guerre, aux relations personnelles avec la ville, il n'est point question des catéchismes. Leur nombre n'a pas diminué. Saint-Pierre-Capelle excepté, parce que trop éloigné, on reste fidèle à Hoves, Labliau, Marcq, Graty, Petit-Enghien. Dès 1921, l'arrivée à Enghien d'un nouveau doyen, zélé, mais très âgé, M. Van Lierde, élargira encore ce champ d'apostolat. On a dit, plus haut, qu'au cours de la guerre, M. le doyen Poot avait sollicité du P. recteur le secours de la parole éloquente du P. Pinard de la Boul!aye. En novembre 1920, à la suite de la mission donnée par les Rédemptoristes, ce père fut encore prié de donner, chaque premier dimanche du mois, à la Ligue du Sacré-Cœur, une allocution. Durant les neuf ans qui suivirent et jusqu'à ce qu'il fut appelé à succéder au P. Samson dans la chaire de Notre-Dame de Paris, il continua ce ministère. De cette Ligue du Sacré-Cœur devaient sortir, dans l'avenir, d'heureuses initiatives. Comme on s'occupait des hommes, les dames demandèrent, à leur tour, quelques instructions spirituelles dont le P. Joseph Subtil qui avait succédé comme recteur, le 15 août 1919, au P. Henri Jubaru, accepta de se charger. Un noyau de Dames de Charité se forma ainsi sous la présidence de Madame A. Delannoy, mère du bourgmestre. Depuis son arrivée à Enghien, en 1921, comme étudiant en théologie, le P. Alphonse Blanckaert qui parlait le flamand, avait pris plaisir à engager, dans les rues des Eteules, du Doyen, Nuit et Jour, la conversation avec de petits gars. Avec l'approbation du P. recteur, il avait cherché à les grouper pour les familiariser avec le prêtre et travailler à leur instruction religieuse. Les premières réunions eurent lieu le jeudi et parfois le dimanche après-midi à Warelles, maison de campagne du scolasticat. Le succès s'affirmant, M. le doyen, très compréhensif, concéda l'usage de locaux paroissiaux situés aux environs de la rue des Ecoles. Un Patronage y fut fondé. II sera désormais ouvert les jeudis et les dimanches à tous les enfants des écoles communale et paroissiale, dirigé par deux théologiens que les plus grands, restés fidèles, aideront peu à peu avec le titre de dirigeants. Aux PP. Alphonse Blanckaert et Louis Gurny, succèderont les PP. de Bailliencourt, Corset, Garvey, etc... Ce n'était pas encore le temps où cent attractions étaient à leur disposition pour retenir ce petit monde ; point non plus de ces « séances récréatives » si communes aujourd'hui et qui attirent en foule les parents ; point de ces perspectives de vacances prises sur la côte française, dans le sud de la Belgique, le Luxembourg, la Champagne, tandis que les « dirigeants » iraient ensemble avec un ou deux pères prendre les leurs en Normandie. Pour les uns comme pour les autres, c'est le dévouement dans toute sa nudité, sans guère d'autre variante qu'un pèlerinage à Hal, une fête de Saint Nicolas, ou une soirée de Noël... Qu'il s'y fasse pourtant du très bon travail en profondeur, nous aurons plus loin l'occasion d'en donner la preuve.

    L'appel lancé au cours des années 1920-1925 par l'abbé Cardyn en vue d'organiser en unions catholiques – la J.O.C. et la J.O.C.F. – les jeunes ouvriers et ouvrières, avait aussi trouvé écho au vieux couvent. En 1920 déjà, les théologiens du scolasticat avaient, dans l'église paroissiale, convié tous les garçons et filles des écoles, sans distinction, à une Croisade eucharistique, en union avec tous les enfants de leur âge en Belgique et en France. On avait alors choisi, pour cette grande journée religieuse, la fête du Sacré-Cœur (11 juin) et, dans l'espoir d'éveiller plus d'échos, cherché à y préparer toute la paroisse. Les 8, 9 et 10 juin, le P. Pinard de la Boullaye parla aux hommes, tandis que cinq scolastiques exhortaient, à des heures et en des locaux différents, les jeunes gens, les enfants et les femmes. Menés avec entrain, ces efforts convergeants remuèrent profondément la paroisse et, le matin du 11 juin, les messes, rehaussées par la chorale de la Maison Saint-Augustin, furent suivies par une véritable foule. Près de 1.400 communions furent distribuées. M. le doyen, étonné d'un résultat quelque peu inespéré, ne cacha pas sa joie.

    Une grande cérémonie avait été annoncée pour le soir à 8 heures. Bien avant 7h.1/2 toutes les portes de l'église paroissiale, fermées par précaution, étaient assiégées, et quand, à 7h. 30, les boys-scouts chargés du service d'ordre, laissèrent pénétrer la foule, l'église qui compte plus de 1.000 chaises, fut comble en un instant. On laissa pourtant encore occuper les quelques espaces libres, puis les portes furent refermées. Le sermon du P. Pinard de la Boullaye fut écouté avec une attention très soutenue. Avec émotion, il développa cette plainte de Dieu, proférée déjà par le prophète Isaïe et que l'Eglise met, le Vendredi-Saint, sur les lèvres du Sauveur : « Est-il encore quelque chose que j'aie dû faire pour mon peuple et que je n'aie pas faite ? » Une procession d'enfants, organisée par les PP. Flament, Gavory et Arnelin, et qui comptait près de 300 figurants, se développa ensuite, évoquant les précurseurs de la dévotion au Sacré-Cœur, les villes de Belgique reconnaissantes, etc... Tour à tour défilèrent un petit saint François d'Assise vêtu de bure, les mains marquées de stigmates ; un petit Saint Augustin en chape et en mitre ; un angélique Louis de Gonzague en surplis, tenant un lys ; un sage petit saint Jean-Baptiste de la Salle, etc... Les saintes fondatrices d'Ordres portaient de vrais costumes de religieuses et ressemblaient à s'y méprendre : sainte Claire à une vraie clarisse, sainte Thérèse à une authentique carmélite, etc... Près de chaque saint ou sainte, un bambin portait une banderole indiquant le nom du personnage représenté. La procession fit lentement le tour intérieur de l'église, puis, précédée des clairons et tambours des boys-scouts, descendit sur la place toute pavoisée, pour permettre à la foule qui n'avait pu entrer de contempler le long et touchant cortège tandis que, de la tribune, la chorale de la Maison Saint-Augustin chantait des cantiques. La procession rentrée dans l'église, massée dans les bas-côtés, les personnages symboliques groupés sur les marches du chœur, en un tableau vivant, bien mis en lumière par un projecteur que dissimulait un pilier, le P. Flament lança du haut de la chaire les acclamations au Sacré-Cœur, reprises à pleine voix par les enfants et par la foule. Ce fut ensuite la bénédiction du Saint-Sacrement dans une atmosphère de prière et d'émotion qui rappelait vraiment les grandes fêtes de Lourdes et de Montmartre.

    Trois mois plus tard, le dimanche 19 septembre 1920, une autre fête évoqua les souvenirs les plus touchants d'Enghien pendant la guerre et resserra davantage encore l'union entre la ville, notre communauté française et les délégués de la population de Saint-Quentin réfugiée à Enghien durant la guerre. C'était l'inauguration solennelle, au parc communal, du monument aux morts de la guerre. A 8 heures, le R. P. Jubaru, l'ancien recteur de guerre, célébra la messe dans notre église devant plusieurs Saint-Quentinois invités par la ville d'Enghien ou venus spontanément, puis il bénit la plaque de cuivre offerte par la reconnaissance des Saint-Quentinois, où l'on peut lire cette inscription: « Les habitants de Saint-Quentin, déportés à Enghien durant la guerre, rendent grâces à Dieu d'avoir reçu en cette chapelle des PP. Jésuites français, consolation et sainte joie : mars-octobre 1917 ». Au déjeûner qui suivit, M. Bacquet, architecte à Saint-Quentin, remercia les pères pour la charité et la cordialité qui avaient rendu courage et espoir aux Saint-Quentinois déprimés par l'exil forcé et la perte de leurs biens. A 10 heures, les scolastiques chantaient la messe solennelle à la paroisse. A 15 heures, le monument de la guerre était inauguré par les magistrats de la ville. Une haute statue de pierre représente un soldat belge dans la fière attitude du défenseur de la patrie. Il était entouré de canons pris à l'ennemi et de trois stèles portant les noms des enghiennois morts à la guerre, des victimes des déportations et de 89 évacués français morts à Enghien. Parmi les « enghiennois » étaient inscrits 10 religieux partis de notre maison en août 1914. Comme on avait suivi l'ordre alphabétique, mêlant les français aux belges, le nom du P. Auffroy se lisait en tout premier lieu. Le soir, un banquet réunit chez nous M. P. Delannoy, bourgmestre, le général belge Lemercier, le capitaine français Depoix, M. Desjardins, député de I'Aisne, M. E. Pacco, échevin d'Enghien, M. Bacquet, etc... Le R.P. recteur remercia nos édiles d'avoir pratiqué « l'union sacrée » en gravant tous les noms sur la même pierre glorieuse : « Rien ne les distingue et rien ne les sépare ; de même, confondus dans le rang, nous ne demandons qu'à travailler pour le bien commun ». Il loua le bourgmestre d'avoir mérité la médaille de la Reconnaissance française pour sa bienveillance et sa bienfaisance envers nos compatriotes. M. P. Delannoy répondit qu'il ne pouvait oublier ses collaborateurs de la guerre, surtout le « P. Jubaru, l'homme de conseil, le P. d'Herbigny, traducteur journalier des ordres allemands, et !e P. Paul Derély, père des malheureux exilés et des malades ».

    L'animateur de la Croisade eucharistique dut alors quitter Enghien. Des successeurs ne devaient pas lui manquer. Aussi dès 1924, à la demande de M. le doyen Seuntjens, le P. Brouillard, professeur de théologie morale au scolasticat, devenait-il l'aumônier des jeunes filles qui s'organisent en J.O.C.F. ; deux ans plus tard, les PP. de Bailliencourt et Garvey fondaient à Enghien la J.O.C. avec les anciens du Patronage.

     

    VI. - Autres initiatives.

     

    Parallèlement à tout ce mouvement religieux que le P. Eugène Lavigne, ministre du scolasticat, de 1925-1927, animait en popularisant l'Apostolat de la Prière, Enghien était alors quelque peu remué par une campagne qui attirait l'attention des hommes de toutes conditions sur la question religieuse. A la faveur de la misère, conséquence de la guerre dans beaucoup de famille ouvrières, une Mission protestante belge était venue, dès la fin de la guerre, s'établir à Enghien. Soutenue par des églises et ligues anglaises et américaines, elle s'efforçait, par la charité et la condescendance envers les pauvres, de faire des prosélytes. Son action s'intensifia en 1927, avec l'arrivée d'un nouveau pasteur, M. Henry Bentley. Au commencement de 1928, on comprit la nécessité d'opposer à cette invasion une contre-offensive victorieuse. Le P. Joseph Dühr, professeur d'histoire ecclésiastique au scolasticat, s'en chargea comme d'une croisade. Avec sa solide formation théologique, sa connaissance de l'histoire, son absence complète de respect humain, et aussi sa bonhomie luxembourgeoise, il était pour l'hérésie un adversaire redoutable. Chaque semaine, parurent des tracts ou des affiches sensationnelles, qui furent également utilisés dans la région de Charleroi, très attaquée aussi par la propagande protestante. Un premier tirage de 20.000 exemplaires dût être suivi d'un autre de 50.000 qui furent demandés de partout. Toute l'année 1928-1929, la campagne se poursuivit jusqu'à ce que le nouveau « Domine » (pasteur) fini par demander son changement.

    Mais cette campagne avait contribué à éveiller dans Enghien des activités d'un christianisme plus positif qui ne se sont plus démenties depuis lors. C'est ainsi que le P. Dühr réussit, grâce au généreux concours de M. l'avocat E. Pacco à reconstituer la Conférence de Saint Vincent de Paul. Les offices à l'église paroissiale étant quelque peu négligés, les chants en particulier laissant à désirer, sous son impulsion, les jocistes résolurent de former un chœur de chanteurs et, à leur exemple, la J.O.C.F. unie à l'A.C.J.B.F., organisa une chorale. La grand messe du dimanche, les saluts du mois de mai, ceux du premier vendredi du mois furent complètement transformés. Déjà, la population entière commence à prendre part aux chants et trouve plaisir à assister à des offices où elle n'est plus complètement inactive.

    Ce n'était pas, à vrai dire, une création nouvelle que la Conférence de Saint-Vincent de Paul. Enghien fut même jadis une des premières villes où cette initiative de Frédéric Ozanam, pour remplacer les congrégations mariales interdites, avait trouvé un écho. On en eut la preuve quand M. P. Seuntjens retrouva dans les greniers du presbytère, les anciens registres de la conférence. Mais, peu à peu désertée, elle était tombée en oubli. Avec la Ligue du Sacré-Cœur qu'après dix ans de direction, le P. Pinard de la Boullaye avait remise aux mains du P. Dühr (1928), la Conférence devenait un des principaux foyers d'action catholique dans Enghien. Bien des initiatives d'ailleurs, et plus encore d'aspirations, ne demandaient à cette époque qu'à s'épanouir. C'est en 1928, que, pour la première fois, l'Eglise célébra la fête du Christ-Roi le dernier dimanche d'octobre. A cette intronisation, M. P. Delannoy, bourgmestre, voulut donner la plus grande solennité. Sa mère offrant une statue du Christ-Roi pour la place de l'église, lui-même décida de consacrer la ville au Sacré-Cœur. L'inauguration de cette statue amena la disparition des masures qui, depuis plusieurs siècles, s'étaient accolées aux murs extérieurs de l'église. Dames et jeunes filles déployèrent une grande activité pour faire décorer et pavoiser toutes les rues. Ce fut aussi pour le P. Dühr l'occasion de réorganiser la Ligue du Sacré-Cœur. Aux prédications du P. Pinard de la Boullaye, le premier dimanche du mois, on avait bien, jusqu'alors, ajouté quelques réunions, une campagne de presse pour répandre les bonnes lectures, un embryon de bibliothèque communale. Tout cela va maintenant recevoir une plus grande impulsion. La Ligue, comme toutes les confréries, aura ses zélateurs, ses réunions régulières, mensuelles, ses conférences pour lesquelles le P. Dühr fera appel à toutes les compétences du scolasticat, fussent-elles de passage.

    Nombreux, en effet, y sont ceux qui peuvent porter témoignage des souffrances, des luttes, des travaux de l'Eglise catholique en leurs pays. La paix conclue, les Provinces étrangères avaient retrouvé le chemin d'Enghien. En 1921-1922, le théologat compte déjà 16 théologiens de 6 Provinces non françaises, dont 2 mexicains et 4 canadiens ; en 1926-1927, ils sont 28 de 13 pays différents : Mexique (1), Yougoslavie (2), Portugal (3), Autriche (2), Tchécoslovaquie (5), Espagne (2), Nouvelle-Orléans (3), Pologne (2), Hongrie (2), Californie (2), Sicile (1), Hollande (1), Suisse (2). En 1938-1939, malgré les bruits de guerre qui s'intensifient depuis 1937, le scolasticat compte encore 10 théologiens de 5 Provinces différentes : Aragon, Brésil, Californie, Portugal et Pologne. Que ces anciens aient établi chez eux le bon renom de la Belgique, particulièrement d'Enghien, la présence au théologat, en cette année 1952-1953, des représentants de 13 Provinces différentes en est certes la preuve.

     

    VII. - Le cinquantenaire du scolasticat.
    1937. La nouvelle bibliothèque.


    L'année 1937 qui amenait le cinquantième anniversaire de l'arrivée des pères dans le vieux couvent des Augustins, ne devait pas passer inaperçue. Le souvenir en fut consacré par la construction d'une importante annexe à la bibliothèque. Celle-ci, en effet, n'avait cessé de s'accroître, et, en 1927, il avait fallu lui concéder encore plusieurs chambres prises sur celles dont disposait la communauté : à l'ouest, l'extrémité du grand corridor central et !es chambres que, de part et d'autre, il desservait ; à l'est, les dernières chambres jusqu'à la tribune des Augustins transformée en chapelle votive depuis 1918. Invité, en 1931, par le P. Joseph de Ghellinck à collaborer à un mémoire sur « Nos Bibliothèques - Organisation, Utilisation, Conservation, Gestion et Direction » (*), le bibliothécaire de l'époque exposa en quelques pages la diversité et la valeur des fonds dont se composait la bibliothèque du théologat d'Enghien. En dépit des pertes subies au cours de la guerre de 1940-1945, qui s'élèvent à plus de 60.000 frs. belges d'avant guerre, elle n'a point aujourd'hui perdu de son intérêt. En 1936, on se décida donc à l'occasion du cinquantenaire de la fondation de la Maison, à la doter une bonne fois d'une installation moderne sans lui rien retirer des locaux dont elle disposait. « Décider la nouvelle bibliothèque, écrivait peu après l'historien de la Maison, c'était décider la prolongation de notre exil. De telles dépenses et de tels travaux nous fixaient en Belgique, au moins pour un certain nombre d'années, et les illusions s'évanouissaient de ceux qui rêvaient encore d'un prompt retour en France. Le P. Thoyer, recteur, aurait préféré que fut possible ce retour dans la patrie, d'ailleurs plus conforme à notre Institut (**), mais l'heure eut été plus mal choisie que jamais, non seulement pour des raisons d'économie – la dévaluation ayant alors rendu la vie bien moins coûteuse en Belgique –, mais parce qu'il paraissait peu opportun de provoquer le front populaire dont les exploits alarmaient notre pays. Après mûre réflexion, nos supérieurs prirent la responsabilité d'une mesure, apparemment moins glorieuse et moins douce, mais indiquée par les événements ». Les travaux commencèrent le mardi de Pâques sous la direction du P. Jean de Lattre, bibliothécaire de l'Université Grégorienne de Rome depuis 1922, et momentanément à Enghien. Avec l'aide de M . Reynvoet, architecte à Tournai, il éleva, sur la classe construite jadis dans l'ancien jardin du principal et la conciergerie entièrement rasée, une modeste réplique de ce qu'il avait fait édifier à Rome. Derrière une façade austère, mais non dépourvue d'élégance, se cache un magasin de trois étages de 2m25 de haut, entièrement en fer, totalisant 3.300 mètres de rayons mobiles où tous les ouvrages sont à portée de la main. La fabrication en fut confiée aux ateliers de Manage de la Société métallurgique d'Enghien-Saint-Eloi. Un éclairage très judicieusement compris permet son utilisation à toute heure du jour ou de la nuit. Le nouveau bâtiment a, de plus, le très grand avantage, d'être à l'abri de l'incendie. On doit reconnaître aujourd'hui qu'il lui manque un quatrième étage : la crainte d'écraser d'un building l'église d'une part, le jardin voisin des Clarisses d'autre part, y fit renoncer. C'est alors également que furent construits l'escalier à double rampe qui donne accès au jardin, et les nouveaux parloirs à front de la rue des Augustins. Dans le plus grand de ceux-ci ont été recueillis deux faces de chapiteaux de bois sculpté retrouvés sous le plâtre lors de la destruction de l'ancienne conciergerie. L'un porte les armoiries des Schokart, vieille famille enghiennoise, à la devise: Unde ea pl Scockar, 1621 ; l'autre, celle d'un Abbé d'Eenhame ou de Saint-Denys-en-Broqueroye, vraisemblablement, dont relevait le couvent d'Enghien. L'écu porte la devise Pedetentim B venies (doucement, peu à peu avec précaution ; qui va doucement va lentement - que signifie là le B?) écho de celle qui, dans le grand cloître, surmonte la porte du réfectoire : Fortiter et Suaviter, fermeté et douceur. Trésor de la Maison, cette bibliothèque compte, en avril 1953, plus de 108.000 volumes, auxquels doivent s'ajouter d'autres bibliothèques particulières : celles des théologiens, des missions, etc... Elle est ouverte aux travailleurs étrangers aussi bien qu'à ceux de la Maison. Très heureusement le clergé local le sait et y recourt.

    (*) Voir Nouveaux Essais pédagogiques à l'usage exclusif des Nôtres, 3e série, t. Il, septemhre 1931, p. 465-607.
    (**) Epitome Instituti, n. 815, 83.

    Les travaux n'étaient pas encore achevés quand, au début de juin, le cinquantenaire de la Maison fut célébré par des fêtes d'ailleurs tout intérieures. Nul n'en fut informé au dehors que les personnages de marque invités au repas de midi. On y rappela avec fierté que, durant ces cinquante années, le scolasticat avait donné à l'Eglise près d'un millier de prêtres. Parmi eux un grand nombre étaient partis aux missions de Chine, Ceylan, Maduré, Madagascar, Alaska, Zambèze, etc... En 1900, quatre : les PP. Denn, Mangin, Isoré, Lomuller étaient tombés, en Chine, martyrs au milieu de centaines de leurs chrétiens ; le 25 novembre 1927, peu de temps après son départ d'Enghien, où il avait été ordonné prêtre en 1926, le P. Michel Pro avait, lui aussi, donné sa vie en témoignage de sa foi, au Mexique, où son dernier mot avait été: « Vive le Christ-Roi ». De tous les cinq, les procès de béatification sont en cours à Rome. Deux ans plus tard (août 1939), la guerre de l'Allemagne à la Pologne dépeuplait de nouveau la Maison Saint-Augustin.

     

    VIII. - La guerre de 1940.
    Le Collège épiscopal Saint-Augustin an vieux couvent. 1940 -1946.

     

    Aussitôt paru le décret de mobilisation, tous ceux qu'il atteignait, regagnèrent la France et il ne resta plus à la Maison d'Enghien que des vieillards, des infirmes et des malades ramenés d'autres maisons, en particulier de Florennes, dont quatre devaient mourir entre les mois d'octobre 1939 et avril 1940. On finissait presque en mai, après six mois de « la drôle de guerre », par croire que les allemands n'attaqueraient jamais la France quand, le vendredi 10 mai, la guerre commença par de foudroyants bombardements. Nul ne douta plus qu'elle durerait des années. C'est pourquoi tous les pères et frères encore à Enghien, obéisssant à des ordres reçus, regagnèrent aussitôt la France, les uns par les derniers trains, les autres par les autos qui se hâtaient en masse vers Tournai et Lille. Seuls, le P. Dühr, luxembourgeois, et quelques frères, espagnols ou suisses, restèrent avec le P. Monnot, supérieur. Le mardi 14 mai, surlendemain de la fête de la Pentecôte, 25 avions allemands survolaient Enghien, cherchant à détruire, avec la gare, le nœud des voies ferrées qu'elle commande : Bruxelles-Lille, Charleroi-Gand, leurs annexes ainsi que la Société métallurgique d'Enghien-Saint-Eloi où se fabriquaient les fameux barrages anti-chars. Aucune troupe, aucune défense sérieuses n'occupant Enghien, ils auraient pu, sans danger, descendre jusqu'à fleur de terre pour jeter leurs bombes. Ils préférèrent se maintenir très haut et semer leurs engins un peu au hasard. La gare fut mise à mal par la destruction d'un rail qui, violemment arraché par l'explosion, fut projeté à cent mètres au-delà. Six bombes, au moins, tombèrent aux alentours des bureaux d'Enghien-Saint-Eloi que les allemands avaient pris, paraît-il, pour une centrale électrique. Plus tard, le génie belge, réquisitionné par les allemands, en relèvera toute une série ; d'une de 75, tombée dans la cave des bureaux, une des ailettes était enlevée et personne ne comprit jamais pourquoi elle n'avait pas explosé. Mais la ville aussi fut largement arrosée et, de différents côtés, des incendies éclatèrent sans qu'il fut possible d'y porter remède. Dès le début des bombardements, la population avait commencé à évacuer la ville, à se disperser dans les villages des environs ou à fuir par colonnes vers la France. A peu de maisons près, la rue de la Station flamba. Le feu se communiquant par les toits aux maisons, toutes contigües de la rue de Bruxelles, la ville entière y eût certainement passé, si le bourgmestre, M. P. Delannoy, marchant courageusement à la rencontre des troupes alliées en retraite, n'avait rencontré la dernière patrouille de l'armée anglaise chargée de ralentir la poursuite de l'ennemi en faisant sauter les ponts. En vertu de sa charge de bourgmestre, il la requît de faire sauter une ou deux maisons à l'endroit où s'ouvre maintenant le boulevard Astrid. Les flammes bornèrent dès lors Ieurs ravages.

    Dans la Maison Saint-Augustin, les allemands ne trouvèrent qu'un vieux ménage réfugié dans les cuisines, qui avait ignoré complètement la fuite nocturne des derniers pères. Une compagnie de ravitaillement en prit aussitôt possession et tous les cloîtres ne furent bientôt plus qu'un vaste magasin où les obus s'entassèrent jusqu'aux voûtes. Qu'un seul avion allié, survolant la ville, laissât tomber ses bombes sur le théologat, presque tout ce qui restait d'Enghien sautait avec le vieux couvent. Lorsque, quelques jours plus tard, les PP. Dühr et Petit, ce dernier n'ayant pas réussi à franchir la frontière française, partout fermée de Baisieux à la mer du Nord, reparurent dans Enghien, ils se heurtèrent à une interdiction formelle de rester dans le couvent. Ils attendirent alors, le P. Dühr en ville, le P. Petit chez les Bernardines d'Ollignies, l'occasion favorable d'introduire dans la maison, aussitôt qu'elle serait évacuée par les allemands, le collège épiscopal Saint-Augustin, dispersé en ville depuis la réquisition de son établissement par l'ennemi. L'heure sonna fin juillet. Entre le départ des occupants et l'arrivée de ceux qui devaient les remplacer, le collège commença aussitôt à fonctionner. Six longues années (1940-1946), sous le principalat de M. l'abbé Pierre Carlier qui ne devait quitter la Maison que pour devenir Vicaire général de Tournai, maîtres, religieuses, personnel de service, y reprirent leur œuvre d'éducation. Le grand réfectoire fut transformé en étude ; les chambres des pères, en classes, celle de théologie, sur le jardin, en réfectoire des élèves. Les pensionnaires remplirent, deux à deux ou trois à trois selon leurs relations de famille, les cellules des scolastiques. La grande salle de fêtes devint, pour les petits, un vaste dortoir à la française. Il y avait bien quelque entassement, mais on suppléait à ce incommodités par un esprit de famille que n'ont pas oublié les grands élèves de cette époque. Pour le collège épiscopal, ce fut le salut. Eut-il été possible de le rouvrir, après six ans de quasi fermeture, sans le personnel, à peu près dispersé et occupé ailleurs, et dans les bâtiments dévastés comme ils l'étaient ? Ni aussi rapidement, ni aussi facilement, on peut l'assurer. Ce n'était pourtant pas en toute quiétude qu'on travaillait, car, dans la Maison, les allemands ne cessaient d'inquiéter les quatre ou cinq Jésuites qui y étaient revenus. Après une descente de police au milieu de décembre 1940, ce fut, en janvier 1941, l'arrestation du P. Monnot, supérieur, et de son ministre, le P. Wilmé, lequel devait mourir deux mois plus tard à la prison de Saint-Gilles (Bruxelles), le pillage courant de la grande bibliothèque, l'enlèvement de toutes les archives jusqu'au dernier papier : 15 tonnes, qu'on recouvrera, par une sorte de miracle, en 1945, le train qui les emportait à une adresse de Silésie, n'ayant pu quitter la Belgique. En 1944, les pères belges, dont le troisième an ne pouvait se réunir, comme de coutume, à Arlon, occupé par les troupes allemandes, demandèrent l'hospitalité de la Maison Saint-Augustin. En pleine guerre, de jeunes prêtres reprirent ainsi en ville les œuvres de jeunesse privées de nos scolastiques depuis 1940. Lorsqu'en octobre 1945, le troisième an pourra se reconstituer à Arlon, et, en octobre 1946, le collège épiscopal Saint-Augustin rouvrir dans un établissement mis à sac par les allemands puis les anglais, mais qu'au prix d'un effort prodigieux et de sacrifices financiers considérables, on restaurera sans délai, le vieux couvent des Augustins sera rendu aux Jésuites français en si bon état que, dès ce même mois d'octobre, il pourra recevoir une centaine de religieux. L'hospitalité offerte lui avait évité toute occupation militaire. Des jeunes théologiens de 1939, trois étaient tombés comme leurs aînés de 1914-1918 « Pro Gallia morientes, quasi holocausti hostiae ». Si leurs noms ne sont rappelés ni dans la chapelle du scolasticat, ni sur le monument de la ville, il doit être permis de consacrer ici leur souvenir car ils étaient d'aussi grandes espérances que leurs aînés : Jean de Pontcharra, 21 mai 1940 ; Paul Maillard, 13 juin 1940 ; Gérard Merveille, 22 juin 1940.

     

    IX. - Le retour et derniers souvenirs. 1946-1952.

     

    En septembre 1946, une communauté entièrement renouvelée se formait, moins enthousiaste encore que « les anciens combattants de 1914-1918 », à la pensée de venir chercher, hors de sa propre patrie, le scolasticat où elle se préparerait au sacerdoce. Il faut le souligner d'ailleurs, elle était presque entièrement composée de jeunes gens qui, après avoir commencé la guerre par six mois d'attente nerveuse, l'avaient ensuite vécue en Allemagne, prisonniers ou au S.T.O. « Service de Travail Obligatoire ». Qu'après cinq longues années de captivité, ils aspirassent à revivre enfin en France, rien n'était plus naturel. A peu d'exception près, d'ailleurs, aucun ne connaissait la Maison, ni le pays, et, comme c'est le cas le plus souvent, ils arrivaient pleins de préjugés. Leur désir de rentrer en France les persuadant qu'ils n'étaient à Enghien que pour un ou deux ans, ils en répandirent le bruit, si bien que, de Charleroi, un ermite de Saint Augustin vint un jour visiter « le vieux couvent de son Ordre et s'informer des conditions dans lesquelles il serait possible de le recouvrer un jour ». II eut été certainement plus normal, et les supérieurs les premiers étaient de cet avis, que les religieux français eussent en France leur maison, le scolasticat de théologie surtout où, pour une part, les petits ministères au dehors contribuent à la préparation du prêtre. Le P. provincial n'avait pas hésité à le déclarer très haut: « c'était bien contre son gré qu'il imposait de nouveau l'exil à toute la jeunesse ». Mais, si la mentalité politique n'inspirait plus les mêmes appréhensions, les charges financières de la Province dépassaient déjà trop ses possibilités pour y ajouter actuellement l'installation en France, d'un établissement aussi considérable que la Maison Saint-Augustin. Une fois de plus, les événements allaient confirmer la sagesse des décisions prises. Avec le temps, du reste, la Maison d'Enghien, la ville, la région auront fait la conquête de cette jeunesse dont le frère Lézy dira: « ces théologiens ! quand ils arrivent, ils ne cessent de demander à ce qu'on rentre en France, et lorsqu'il ont terminé leurs études, il n'y a pas moyen de les avoir dehors ». A l'intérieur du scolasticat, les études reprirent donc comme autrefois, les théologiens cherchant d'ailleurs toutes les occasions d'exercer au dehors leur zèle apostolique. En décembre 1929, M. P. Seuntjens, successeur de M. Ch. Van Lierde comme doyen de la paroisse, leur avait ouvert plus largement encore son champ d'activité, et c'était encore lui qu'ils retrouvaient au retour. Un fait d'ailleurs allait bientôt leur montrer combien profonde avait été, au patronage en particulier, l'action de leurs aînés.

    Le P. Patrice Garvey, théologien à Enghien de 1927 à 1930 s'était joyeusement dévoué au patronage avant d'être, comme prêtre, chargé en 1930 de la J.O.C. à Petit-Enghien. En 1931 il était parti pour Madagascar où la Province de Champagne a la charge d'une mission au Betsiléo. Le 1er avril 1947, il y tombait assassiné, à l'entrée de son église, par un groupe de malgaches en révolte contre les autorités françaises. Vingt ans écoulés ses petits patronnés étaient devenus des hommes mariés, des pères de familles. On pouvait croire qu'ils avaient oublié ce père tant d'autres s'étant avant lui, avec lui et après lui, dévoués pour eux. Or, dès que la nouvelle fut connue de quelques-uns, ils surent se retrouver pour demander spontanément à M. le doyen un « service » pour le P. Garvey. La conclusion fut aussitôt la formation d'un Cercle amical familial pour resserrer leurs liens. Sans se borner aux anciens du Patro, le cercle s'ouvrirait à toutes les familles qui voudraient en faire partie. Sans imposer à personne d'obligations, il ne ferait appel qu'aux bonnes volontés. Sa devise serait « Pax », la paix chrétienne. Tout de suite le Cercle familial sollicita du P. recteur un aumônier. On lui accorda le P. Michel Delaval qui se préparait alors à Enghien au sacerdoce, mais qui avait connu le P. Garvey à Madagascar où il était parti jeune scolastique. Ce fut une fortune. Comme il fallait un local de réunion, on songea au patronage, bien que toutes les salles fussent, depuis la guerre, dans un état lamentable. Modestement on choisit la plus petite, baptisée Salle Garvey. Elle fut vite restaurée par des travailleurs volontaires. A de petites fêtes de famille s'entremêlèrent des conférences religieuses, missionnaires, scientifiques, historiques auxquelles se prêtaient les théologiens et les pères de passage. Sur la muraille, à une place d'honneur, un grand portrait du P. Garvey rappelle à tous, avec son souvenir, ses leçons et ses exemples. Un jour, Mgr. Thoyer, ancien recteur du scolasticat, aujourd'hui Vicaire apostolique à Madagascar, vint y remercier le cercle de la belle aumône qu'une séance récréative avait permis de lui offrir pour la mission du P. Garvey. Mais l'abandon dans lequel restait la grande salle, transformée en magasin depuis 1940, semblait, à plusieurs, des plus regrettables en raison des services qu'elle pourrait rendre aux œuvres paroissiales. On proposa donc à M. le doyen de la remettre en état. A la vérité, tout était à refaire : plancher, plafond, portes, fenêtres, et naturellement le théâtre. L'autorisation reçue avec la promesse de subsides pour les matériaux indispensables, on se mit à l’œuvre et durant presque une année, chaque soir, au retour du bureau ou de l'atelier, souvent de Bruxelles, où l'on était parti de grand matin, quatre ou cinq de ces pères de famille, secondés par le P. Delaval, contribuèrent, chacun selon son métier ou ses aptitudes, à la restauration. Il était parfois tard dans la nuit lorsqu'on se séparait. Enfin, le jour vint où l'on pût remettre à la disposition de M. le doyen la salle « Pax ». Matériaux exceptés, la restauration était entièrement l’œuvre de volontaires. Le théâtre rétabli, la salle pourvue de sièges, le petit groupe d'amateurs qui, sous la direction de quelques théologiens, avait commencé, salle Garvey, à donner des soirées familiales (les pères, les mères, les enfants se partageant les rôles), entreprit d'intéresser un public plus large à des fêtes dont le bénéfice reviendrait aux missions et aux œuvres paroissiales. Aujourd'hui le succès a couronné l'entreprise et la salle Pax, salle paroissiale, se remplit d'une foule sympathique, qu'il s'agisse de pièces de théâtre, de conférences ou de films.

    Au scolasticat, sous un corps de professeurs presque entièrement renouvelé, les théologiens n'ont plus cessé, depuis 1947, de venir chaque année plus nombreux relever ceux qui partaient.

    A cette jeunesse laborieuse, les maîtres excellents n'ont pas plus manqué après 1900, 1918 ou 1940 qu'auparavant. Par la valeur de son enseignement, le sérieux de ses publications, le nombre de ses étudiants, le scolasticat continue de faire honneur à l'Eglise ; par la variété d'origines de ses étudiants, par leur dispersion à travers le monde entier, par les services qu'ils y rendent, mais aussi par le souvenir qu'ils emportent des quatre années passées à Enghien, et qui ont permis à beaucoup de mieux connaître la Belgique, on ose écrire qu'ils contribuent également au bon renom de ce pays.

    Parmi les maîtres dont l'enseignement et l'activité ont, avant 1900, fait la réputation d'Enghien, il faut au moins citer les PP. Costenoble et Caruel, aussi remarquables comme professeurs de théologie que comme orateurs sacrés. « Six ans durant, de 1893 à 1899, écrit l'annaliste de la Maison, le Carême donné à Sainte-Gudule à Bruxelles par le P. Caruel eut un succès sans cesse grandissant. En 1895, non seulement l'élite de toute la capitale y assistait, mais on y voyait le nonce, Mgr. Nava di Bontife et la famille royale, c'est-à-dire, la comtesse de Flandre avec sa fille Henriette et son fils (le futur roi Albert), alors âgé de vingt ans. Avant chaque conférence, le prince, avide de s'instruire, se rendait à la sacristie et s'y entretenait avec l'orateur pendant vingt ou trente minutes, de la conférence précédente. L'année suivante, à la fin d'un carême qui avait attiré la présence et les éloges même d'ennemis de la religion, le soir du Jeudi-Saint, après le sermon auquel assistaient plus de six mille auditeurs, une procession eut lieu dans la collégiale. Environ huit cents hommes, un cierge à la main, s'avancèrent lentement dans l'église en manifestant leur foi et leur amour envers la sainte Eucharistie. Il y avait, parmi eux, des représentants, des sénateurs et le prince Albert lui-même. En 1896, la renommée du carême de Sainte-Gudule fit appeler le P. Caruel à Reims où l'on célébrait très solennellement le quatorzième centenaire du baptême de Clovis. Parmi onze orateurs illustres, le P. Caruel devait prononcer un grand discours. Il parla de l'Eglise et du pouvoir chrétien d'une manière qui plût à tous, aux évêques, aux prêtres et au peuple. En 1899, le journal « Le XXe Siècle », de Bruxelles, caractérisait ainsi les carêmes du P. Caruel : « S. E. le Nonce a assisté à toutes les conférences, et une foule attentive et compacte, cette foule qui déborde jusque dans les bas côtés de Sainte-Gudule, n'a cessé de les suivre. Nous les rappelant toutes à cette heure où elles finissent, nous nous sentons pénétrés et ce double sentiment est partagé, nous en avons la certitude, par la plupart des auditeurs du R.P. Caruel, nous nous sentons pénétrés de reconnaissance pour le prêtre qui nous apporta, avec de nouvelles lumières, un nouveau réconfort ; et nous éprouvons un amour plus tendre et meilleur pour l'Eglise dont il nous a fait voir, avec une inlassable ardeur et un légitime orgueil, les gloires et la sainteté ». Le P. Caruel, extrêmement classique, avait le génie de l'ordre et de la clarté. Un sermon était composé comme une thèse de théologie. Il y fallait un sujet nettement énoncé, des arguments forts et bien disposés dans un enchantement logique, des subdivisions assez apparentes, une conclusion destinée à satisfaire avant tout la raison. L'ensemble pourtant n'était pas froid ; la lumière devenait chaleur. Tout le texte était écrit et confié mot à mot, à une mémoire imperturbable, mais en cela aucune apparence de cabotinage ; c'étaient ses vraies idées et ses vrais sentiments que l'apôtre voulait faire passer dans l'âme de ses auditeurs avec les accents fortement articulés de sa voix puissante. Si une fois en chaire, le P. Caruel paraissait très maître de lui, il était, comme les vrais orateurs, très ému avant d'y monter, mais, l'exorde à peine engagée, il retrouvait son assurance coutumière.

    Parmi ceux, plus récents, dont il est permis de parler, nous écrirons ici deux noms : les PP. Marcel Viller et Henri Pinard de la Boullaye.

    Le P. Marcel Viller, initiateur et, en dépit d'une perte de la vue presque complète, directeur jusqu'à sa mort, le 6 octobre 1952, d'un Dictionnaire de Spiritualité (*), avait par son enseignement, puis par des travaux nombreux et solides, attiré sur lui l'attention. Quatre ans professeur à l'Institut oriental de Rome, puis, durant !a dernière guerre deux ans à Toulouse exceptés, il résida presque toute sa vie à Enghien où il enseigna successivement l'hébreu, l'histoire ecclésiastique et l'histoire des dogmes. Mais c'est surtout comme historien de la spiritualité qu'il est connu et qu'à l'occasion de ses 50 ans de vie religieuse, ses amis et admirateurs lui dédièrent, sous le titre de Mélanges Marcel Viller, un recueil de travaux originaux (**). Entre les hommages qui, à sa mort, attestèrent son rayonnement, nous ne citerons que ces lignes extraites de quelques pages consacrées à sa mémoire dans la Vie spirituelle de décembre 1952 par le P. Paul Philippe, dominicain, directeur de l'Institut de Spiritualité à l'Angélique (Rome) : « Il faut souligner comme un fait, à ma connaissance unique à notre époque de spécialisation, que ses écrits embrassent avec une égale compétence tout le champ de l'histoire chrétienne... On peut dire du P. Marcel Viller qu'il a créé l'histoire de la spiritualité... Ce grand savant était aussi un animateur... » Et dans une lettre particulière au R.P. recteur d'Enghien, le P. Philippe n'avait pas hésité à écrire : « Je le considère comme le plus grand historien de la spiritualité... Ce qui m'a le plus frappé dans ses écrits, c'est la compétence alliée à l'universalité de son savoir... Je ne crois pas qu 'il existe actuellement un historien de la spiritualité qui possède une connaissance aussi universelle des différentes spiritualités chrétiennes ».

    (*) Paris, Beauchesne.
    (**) Toulouse, Revue d'Ascétique et de Mystique.

    Avec lui, se distingue le P. Pinard de la Boullaye qui avait, jadis, été son maître. Théologien solide, mûri par plusieurs années d'enseignement à Enghien, le P. Pinard de la Boullaye venait de faire paraître sur l'Histoire comparée des Religions deux forts volumes qui n'ont aujourd'hui rien perdu de leur intérêt. Il se préparait à entreprendre la publication d'un grand Dictionnaire d'Histoire comparée des Religions avec le concours de savants collaborateurs étrangers quand, sur le désir du T.R.P. général de la Compagnie, il dût accepter de répondre à l'appel du Cardinal Archevêque de Paris, et occuper la chaire de Notre-Dame. Près de dix ans, il y donna, durant le carême à un auditoire composé surtout d'intellectuels avides de vérité, des conférences dont l'ensemble constitue un des plus solides traités d'apologétique religieuse. De nos jours encore, on le réimprime. Jésus-Christ, envisagé d'abord au point de vue de l'apologétique historique puis de la théologie, en était le thème général. Ici encore nous emprunterons à l'annaliste de la Maison quelques fragments des passages qu'il a consacrés au P. Pinard de la Boullaye et à son œuvre : « Doctrine aussi sûre que profonde en un français impeccable ; phrases nerveuses, nettes, sans la moindre bavure, d'un contenu très dense. Les démonstrations étaient d'autant plus irrésistibles pour les esprits très sérieux qu'elles ne faisaient aucun appel à l'imagination ni au sentiment. Certains auditeurs eussent préféré un peu plus de couleur et de chaleur ou allaient jusqu'à craindre que la longue carrière professorale du P. Pinard de la Boullaye n'eut un peu étouffé ses dons d'orateur, autrefois magnifiques. A ces critiques ou à ces insinuations, il répondait que, de parti pris, aussi longtemps qu'il était sur le terrain apologétique, il éviterait tout appel aux facultés secondaires, de nature à troubler les regards. Plus tard, une fois établie la divinité de Jésus, il ne comprimerait plus autant ses meilleurs sentiments. Cette promesse fut tenue. Au cours des années suivantes, une émotion plus vive se manifesta, des comparaisons soutinrent l'attention et aidèrent à l'intelligence de plus d'un problème. Le style même devint plus alerte et plus vivant, animé d'interrogations pressantes, de dialogismes et de prosopopées, sobrement toutefois, car il convenait que l'impression d'ensemble restât un peu austère ; ce n'était pas à une foule quelconque, mais à des hommes cultivés que devait s'adresser le conférencier de Notre-Dame. En fait, de tels hommes vinrent en grand nombre l'écouter et admirer, avec la netteté et la souplesse de sa diction « distincte et distinguée » (comme il nous disait), la dignité de son attitude, la précision et l'élégance de ses gestes et surtout l'impression de conviction profonde qui émanait de toute sa personne ». La presse, dans l'ensemble, se montra très élogieuse pour ce Jésuite. L'auditoire du P. Pinard de la Boullaye n'était d'ailleurs aucunement limité à l'enceinte de Notre-Dame. Ses conférences radio-diffusées atteignait des millions de personnes dans presque toute l'Europe et jusque dans les campagnes les plus désertes. A la fin de 1933, lorsque, sous prétexte de neutralité, le ministre des P.T.T., M. Mistler, interdit la radiodiffusion des émissions religieuses, ce fut un tel concert de réclamations qu'il dut maintenir celle des conférences de Notre-Dame.

     

    La Maison St Augustin - Article Delattre

    Armoiries de Laurent de Reyngodt, 41e abbé d'Eename
    et visiteur général des monastères de Belgique en 1720.
    (Chapelle et cloître du couvent des Augustins à Enghien).

     

    Recteurs.

    De 1887 à 1952, la Maison Saint-Augustin a reçu pour recteurs :

    P. Alphonse DAMERVAL (24 juin 1887).
    P. Achille HATE (1er septembre 1893).
    P. Louis DECOSTER (30 aoüt 1900).
    P. Victor HERRENGT (13 novembre (1906).
    P. Henri JUBARU (25 aoüt (1912).
    P. Joseph SUBTIL (15 aoüt 1919).
    P. Gabriel PICARD (2 septembre 1925).
    P. Joseph VERNAY (15 aoüt 1931).
    P. Xavier THOYER (15 aoüt 1935).
    P. Bernard JEANNET (15 aoüt 1936).
    P. Pierre MONNOT, vice-recteur (octobre 1939).
    P. Etienne PILLAIN (26 juin 1946).
    P. Jacques MISSET (31 juillet 1948).


    Attendent dans le cimetière d'Enghien
    le jour de la résurrection des morts
    nos Pères et Frères


    P. = Prêtre - Sc. = Scolastique - C. = Frère coadjuteur.

    1. - Sc. RAVINEL Octave de, né à Vienne (Isère) le 11 mai 1867, entré le 4 octobre 1883, mort le 22 septembre 1888.
    2. - P. GENEVRIER François, né à Boursières-sur-Chesnes (Meurthe-et-Moselle) le 1er décembre 1829, entré le 22 août 1857, mort le 6 octobre 1888.
    3. - C. RIETTE Jean, né à Bautzenheim (Haut-Rhin) le 12 octobre 1821, entré le 25 novembre 1844, mort le 10 octobre 1889.
    4. - Sc. WATRELOS Paul, né à Avelin (Nord) le 16 septembre 1861, entré le 11 décembre 1884, mort le 25 novembre 1889.
    5..- C. BENOIT Charles, né à Saint-Jean d'Ormont (Aisne) le 3 aoùt 1826, entré le 11 février 1860, mort le 22 janvier 1890.
    6. - Sc. MILLE André, né à Amiens (Somme) le 30 janvier 1860, entré le 27 septembre 1880, mort le 14 mars 1890.
    7. - P. DELAVENNE Henri, né à Framerville (Somme) le 18 janvier 1827, entré le 31 aoüt 1847, mort le 21 février 1893.
    8.- C. REBUSCHUNG Louis, né à Rodern (Haut-Rhin) le 13 avril 1825, entré le 16 décembre 1849, mort le 17 octobre 1894.
    9.- P. BUNS Corneille, né à Quaedypre près de Berghes (Nord) le 22 avril 1825, entré le 11 octobre 1852, mort le 20 juin 1895.
    10. - P. COLIN Jean-Baptiste, né à Bertrimontier (Vosges) le 16 octobre 1847, entré le 27 octobre 1867, mort le 15 novemhre 1898.
    11. - Sc. HUMBLOT Paul, né à Hagneville (Vosges) le 20 avril 1868, entré le 8 octobre 1894, mort le 13 mai 1901.
    12.- P. GERARDIN Joseph, né à Nancy (Meurthe-et-Moselle) le 30 juin 1834, entré le 13 août 1853, mort le 29 avril 1906.
    13. - C. TRIOEN Alfred, né à Bailleul (Nord) le 6 avril 1840, entré le 6 novembre 1868, mort le 18 août 1906.
    14. - C. DANTEUIL Séraphin, né à Forceville (Somme) le 20 août 1818, entré le 25 janvier 1842, mort le 3 septembre 1906.
    15. - C. STERNJACOB Nicolas, né àl Walschbronn (Moselle) le 29 mars 1825, entré le 29 novembre 1863, mort le 9 septembre 1908.
    16.  -C. HAMANN Valentin, né à Lining-Iez-Routhing (Sarre) le 3 juillet 1831, entré le 14 décembre 1854, mort le 17 mars 1914.
    17. - P. SIMEON Charles, né à Châlons-sur-Marne (Marne) le 11 octobre 1842, entré le 26 novembre 1861, mort le 10 décembre 191 5.
    18. - C. LABERTRANDE Louis, né à Saint-Mihiel (Meuse) le 28 mars 1890, entré le 9 octobre 1913, mort le 2 décembre 1916.
    19. - P. VOGELWEID Antoine, né à Huningue (Haut-Rhin) le 8 novembre 1832, entré le 5 novembre 1855, mort le 14 février 1917.
    20. - P. CORNAILLE Nestor, né à Vanduille (Aisne) le 17 septembre 1834, entré le 18 novembre 1855, mort le 24 février 1917.
    21. - C. JONETT Georges, né à Geiswasser (Haut-Rhin) le 27 mai 1841, entré le 30 juillet 1864, mort le 10 décembre 1917.
    22. - C. DAVROUT Gustave, né à Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais) le 21 juin 1865, entré le 11 novembre 1895, mort le 1er mai 1918.
    23. - C. HIEROLTZ Charles, né à Villé (Haut-Rhin) le 3 novembre 1817, entré le 31 octobre 1876, mort le 23 septembre 1919.
    24. - P. DEBUCHY Paul, né à Tourcoing (Nord) le 16 avril 1862, entré le 9 octobre 1880, mort le 25 octobre 1923.
    25. - P. MOTTE Paul, né à Tourcoing (Nord) le 26 mars 1844, entré le 16 janvier 1864, mort le 27 décembre 1923.
    26. - P. VIRION Victor, né à Clézentaine (Vosges) le 13 août 1855, entré le 21 septemhre 1880, mort le 18 juillet 1924.
    27. - P. WATRIGANT Henri, né à Lille (Nord) le 20 février 1845, entré le 20 octobre 1868, mort le 23 février 1926.
    28. - P. BRUCKER Joseph, né à Wintzenheim (Bas-Rhin) le 7 mai 1841, entré le 22 septembre 1860, mort le 26 avril 1926.
    29. - P. BRUCKER Pierre, né à Wintzenheim (Bas-Rhin) le 29 juin 1842, entré le 21 septembre 1859, mort le 31 mai 1927.
    30. - P. BUCHET Gaston, né à Lille (Nord) le 14 décembre 1860, entré le 16 décembre 1881, mort le 4 juin 1927.
    31. - P. MUNIER Adrien, né à Jarny (Meurthe-et-Moselte) le 3 mars 1848, entré le 30 janvier 1869, mort le 15 mai 1928.
    32. - Sc. DOREL Ferdinand, né à Perpignan (Pyr. Orient.) le 15 aout 1894, entré le 29 septembre 1923, mort le 22 octobre 1928.
    33. - P. CAPPE de BAILLON Hippolyte, né à Saint-Venant (Pas-de-Calais) le 7 mai 1840, entré le 24 décembre 1860, mort le 10 juin 1929.
    34. - P. MONGAREY Michel, né à Lille (Nord) le 29 avril 1875, entré le 6 octobre 1892, mort le 5 septembre 1929.
    35. - P. GEOFFROY Charles, né à Mirecourt (Vosges) le 5 septembre 1872, entré le 12 janvier 1904, mort le 20 février 1930.
    36. - P. DUTILLEUL Joseph, né à Douai (Nord) le 14 juin 1869, entré le 25 septembre 1889, mort le 27 anil 1930.
    37. - P. TIBERGHIEN Fursy, né à Bourthes (Pas-de-Calais) le 20 juillet 1857, entré le 24 mars 1897, mort le 23 mai 1930.
    38. - P. ESPIES Louis d', né à Paris le 5 avril. 1860, entré le 12 novembre 1877, mort le 28 août 1930.
    39. - C. DELANNOY Emile, né à Auchel (Pas-de-Calais) le 25 octobre 1872, entré le 9 novembre 1896, mort le 9 juin 1936.
    40. - P. DAESCHLER René, né à Nancy (Meurthe-et-Moselle) le 2 avril 1887, entré le 8 octobre 1904, mort le 18 décembre 1936.
    41. - Sc. GRUYELLE Henri, né à Rivière (Pas-de-Calais) le 20 mars 1905, entré le 17 novembre 1927, mort le 28 février 1938.
    42. - P. VAGNER Nicolas, né à Budingen (Moselle) le 27 aoùt 1875, entré le 4 novembre 1895, mort le 2 juin 1938.
    43. - C. BECQUART René, né à Lille (Nord) le 12 novembre 1860, entré le 1er février 1884, mort le 14 septembre 1938.
    44. - P. LEFEBVRE-FORESTIER Robert, né à Dijon (Côte-d'Or) le 19 avril 1874, entré le 31 octobre 1893, mort le 1er juin 1939.
    45. - C. VAUBOURG Joseph, né au Val d'Ajol (Vosges) le 17 janvier 1878, entré le 30 juillet 1908, mort le 11 décembre 1939.
    46. - C. PETITDEMANGE Louis, né à Fraize (Vosges) le 15 aoùt 1875, entré le 7 juin 1898, mort le 23 janvier 1940.
    47. - C. HINTERMEYER Jean, né à Rosheim (Bas-Rhin) le 7 juin 1868, entré le 2 février 1904,  mort le 17 février 1940.
    48. - P. JACQUART Etienne, né à Tourcoing (Nord) le 5 octobre 1883, entré le 31 octobre 1902, mort le 24 mars 1940.
    49. - C. LOPEZ Jérôme, né à Léon (Espagne) le 19 décembre 1863, entré le 28 aoùt 1891, mort le 12 février 1943.
    50. - P. DUBUS Pierre, né à Orchies (Nord) le 19 octobre 1884, entré le 2 février 1906, mort le 20 aoùt 1952.
    51. - P. VILLER Marcel, né à Mauvages (Meuse) le 6 mai 1880, entré le 6 octobre 1899, mort le 6 octobre 1952.

     

    Pierre de LATTRE, S.J.